3 minutes de lecture | 29 mars 2024

Le conjoint survivant et les autres héritiers

Le conjoint survivant et les autres héritiers

Nous avons évoqué à l’occasion de divers articles, les problèmes posés par l’articulation des droits successifs du conjoint survivant avec ceux des autres héritiers.

Nous allons tenter de faire ici une synthèse de ces problèmes.

Rappelons au préalable que le conjoint survivant n’a de droit dans la succession que s’il est marié avec le défunt et non divorcé.

Le concubin ou le pacsé ne sont pas concernés par la succession de leur compagnon, sauf libéralité intervenue à leur profit avant le décès ou par testament.

Jusqu’à une date pas très lointaine, les héritiers du prémourant dans un couple étaient généralement aussi les enfants du conjoint survivant.

L’évolution de la société fait qu’aujourd’hui, l’exception est devenue quasiment la règle et les héritiers du défunt sont face à un conjoint survivant dont ils ne sont pas issus et il arrive même qu’ils soient face en plus à une autre personne, voire plusieurs, qui a ou ont partagé la vie du défunt.

Tous les enfants sont du même lit

Lorsque tous les enfants du défunt sont du même lit, la situation est théoriquement simple : le conjoint survivant, s’il n’a pas été déshérité (voir notre article sur les droits successifs du conjoint survivant), peut, dans le cas de la dévolution légale (art. 757 du Code civil), choisir entre le quart en pleine propriété de la succession ou l’usufruit sur le tout (outre ce qu’il reçoit dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial).

Mais la situation peut se corser en fonction :

  • Du régime matrimonial,
  • Des donations antérieures intervenues,
  • De l’existence d’une donation au dernier vivant.

Généralement, les enfants se trouvent en indivision avec le conjoint survivant sur les biens immobiliers, ce qui provoque parfois des problèmes de gestion.

S’agissant des comptes bancaires, ils continuent la plupart du temps à être utilisés par le conjoint survivant, soit parce qu’il en a l’usufruit, soit parce que ce sont des comptes joints.

En théorie, les enfants ont ce que l’on appelle une créance de restitution du montant de la part du prémourant sur ces comptes, mais cette créance est contre la succession du conjoint survivant dont ils sont héritiers, ce qui équivaut à avoir une créance sur soi-même.

De ce fait, le conjoint survivant peut, la plupart du temps, faire ce qu’il veut des avoirs bancaires, sauf si des garanties lui ont été demandées par les enfants (cf. art. 1094-3 du Code civil), ce qui est très rare.

Dans cette situation, les formalités de liquidation de la succession sont simples et limitées et parfois rien n’est fait à l’égard de la succession du prémourant, les deux successions étant réglées en même temps lors du décès du conjoint survivant.

Le notaire fait alors une masse de tous les biens présents et les partage entre les héritiers.

Mais dans certaines circonstances, cette procédure expéditive parfois sans incidence arithmétique est à proscrire, notamment lorsque le prémourant avait des biens propres ou avait consenti des libéralités.

Chaque cas est particulier et il est conseillé de consulter un avocat.

Normalement, dans tous les cas, au décès du prémourant, le notaire doit :

  • faire opter le conjoint survivant lorsqu’il peut choisir ses droits successifs,
  • établir un acte de notoriété ;
  • établir une déclaration de succession, même si compte tenu des droits du conjoint survivant qui ne paie pas de droit et de l’abattement actuel de 100.000 € par enfant il n’y a pas de droits de succession à payer ; en cas d’usufruit et de droits à payer, les redevables peuvent demander un paiement différé qui s’exécutera au décès de l’usufruitier, seuls les intérêts étant dus annuellement ;
  • faire un partage civil sur le papier et le cas échéant réel, pour fixer les droits de chacun dans la succession du prémourant ;
  • établir les attestations immobilières pour acter le passage des biens du patrimoine du défunt à celui de tous ses héritiers (ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils sont partagés et attribués, mais les parts d’indivision sont fixées en fonction de la dévolution successorale et cela pourra évoluer après le partage final des biens qui sera l’objet d’une autre attestation immobilière). Cette attestation immobilière au décès du prémourant est obligatoire pour que la chaîne de transmission auprès de la publicité foncière soit continue. Attention, il est dangereux de tarder à faire une attestation immobilière car les droits à payer sur l’acte ont pour assiette la valeur du bien à la date de l’attestation. Si l’on attend des années pour établir une attestation immobilière et que le bien ait eu une forte plus -value, les droits à payer seront beaucoup plus importants) ;

Il ne faut pas hésiter à demander au notaire d’établir ces actes et à solliciter l’intervention d’un avocat en cas de difficulté.

Tous les enfants ne sont pas du même lit

Le conjoint survivant et les autres héritiers

Comme nous l’avons dit, cette situation est devenue courante.

Elle peut occasionner de nombreux désaccords sous-tendus le plus souvent par des causes psychologiques plus ou moins conscientes résultant d’une inégalité de traitement entre les enfants de lits différents.

Cette inégalité de traitement est quasiment inévitable, surtout s’il y a de grandes différences d’âge entre tous les enfants, car elle provient de l’évolution inéluctable de la situation familiale :

  • les parents, avançant en âge ont plus d’indulgence pour les derniers nés,
  • les principes éducatifs s’adoucissent au fil des ans,
  • la situation de fortune des parents évoluant souvent favorablement avec le temps, le niveau de vie des plus jeunes est nettement supérieur à celui qu’a eu leurs aînés (loisirs, voiture, logement étudiant, etc…).

Tout cela crée fatalement des jalousies larvées et non exprimées, sans compter que certains parents privilégient ostensiblement les enfants issus de leur dernière union par des libéralités avant le décès ou par testament.

De même, le dernier conjoint survivant est souvent largement gratifié et l’on voit se former deux camps à la liquidation de la succession : les enfants du premier lit contre le conjoint survivant et les enfants qu’il a eu du défunt.

Si le conjoint survivant est jeune, voire très jeune (parfois du même âge ou même moins âgé que les enfants du premier lit), les rapports sont automatiquement très tendus.

Pour assombrir encore le tableau, il arrive que le prémourant ait adopté un ou plusieurs enfants du conjoint survivant, ces enfants adoptés venant alors en concurrence dans sa succession avec leurs frères et sœur enfants biologiques.

On peut facilement imaginer l’ambiance à la liquidation de la succession du prémourant, surtout si elle est importante.

Il est impossible de faire l’inventaire de tous les problèmes qui peuvent se poser mais nous évoquerons les plus courants :

  • l’usufruit du conjoint survivant et la créance de restitution,
  • l’indivision entre les enfants et le conjoint survivant,
  • le rapport et la réduction des libéralités ayant profité au conjoint survivant,
  • les contrats d’assurance vie au profit du conjoint survivant,
  • le partage des objets mobiliers.

L’usufruit du conjoint survivant

La loi du 23 juin 2006 réformant les successions a modifié l’article 757 du Code civil fixant les droits légaux du conjoint survivant.

Pour éviter les conflits entre le conjoint survivant et les enfants non communs, il a été décidé qu’en présence d’enfants de lits différents, le conjoint survivant ne recueillerait légalement que de la pleine propriété.

Cette disposition n’a pas évité deux sources de conflit :

  • une indivision entre les enfants non commun et le conjoint survivant,
  • la persistance d’un usufruit en faveur du conjoint survivant résultant d’une donation ou d’un legs.

Comme souvent, le législateur n’est pas allé jusqu’au bout de sa logique. En matière de successions particulièrement, il procède par légères touches, mais toujours en retard par rapport à l’évolution de la société et celle des droits successifs du conjoint survivant en est une parfaite illustration.

Lorsque le conjoint survivant est très jeune, les enfants du premier ne verront jamais leur pleine propriété se reconstituer, ce seront leurs propres héritiers qui deviendront pleins propriétaires !

Autre catastrophe théorique : la liquidation de l’usufruit. En caricaturant, si le conjoint survivant a 20 ans -et cela peut arriver-, la valeur de son usufruit est de 90%. Entre 21 et 30 ans, elle est de 80%. Les enfants du premier lit seraient totalement dépossédés. Heureusement cette liquidation ne peut s’opérer qu’avec l’accord des parties ! Au maximum, le conjoint survivant ou les nus-propriétaires peuvent demander la conversion en rente viagère, avec l’accord du juge qui en fixe souverainement le montant fondé sur la capacité frugifère du bien objet de l’usufruit (art.759 du Code civil).

Pour éviter cette dépossession, il est prévu que les droits du conjoint survivant ne peuvent porter atteinte à la nue-propriété de la réserve (art. 758-5 du Code civil), que l’imputation sur la quotité disponible d’une libéralité en usufruit se fait à hauteur de la valeur en pleine propriété du bien démembré et non de celle de la valeur de l’usufruit (Cass. Civ. 1, 22 juin 2022, n° 20-23215) et enfin que les droits sont assis sur la plus faible des deux masses, de calcul et d’exercice.

Autre problématique, les comptes bancaires.

Les comptes bancaires propres du défunt

Le conjoint survivant et les autres héritiers

En principe, ces comptes sont bloqués lorsque la banque a connaissance du décès et il faudra exécuter des formalités pour que le conjoint survivant puisse exercer son usufruit.

Mais ces biens sont consommables et on appelle l’usufruit qui leur est appliqué un quasi-usufruit.

L’usufruitier peut les utiliser, à charge pour lui d’en restituer le montant à son décès.

Que se passe-t-il en pratique ?

Il est fait un arrêté des comptes au décès du prémourant qui s’élève à une somme X.

Ses héritiers ont une créance dite de restitution sur la succession du conjoint survivant de ce montant X.

Si cette succession ne permet pas d’honorer cette créance, ils doivent se retourner contre les héritiers du conjoint survivant, à condition que ceux-ci soient solvables ou, pour l’éluder, n’aient pas renoncé à la succession de leur auteur. Si c’est le cas, les héritiers du prémourant n’ont aucun recours.

Pour pallier cette difficulté, certains notaires proposent de réaliser une convention de quasi-usufruit, encore faut-il que pour que cet acte soit efficace, il existe des garanties de restitution.

Les comptes joints des deux époux

A la différence des comptes propres du défunt, ils ne sont pas bloqués lorsque la banque est informée du décès, mais il est simplement établi un arrêté du compte et le conjoint survivant peut continuer à en disposer sans entrave.

Seule la moitié des comptes joints entre dans la succession du prémourant.

Chacun des titulaires peut demander une répartition différente s’il lui est possible d’apporter la preuve de ce que le compte n’a pas été alimenté de manière équivalente par les titulaires.

La part revenant au prémourant entrera dans la créance de restitution (voir supra).

L’indivision entre les enfants et le conjoint survivant

Si le conjoint survivant a des droits en pleine propriété dans la succession du prémourant, s’il existe des biens communs ou des biens en indivision entre les époux, le conjoint survivant sera en indivision avec les enfants communs et non communs.

S’il existe une mésentente, on se retrouvera face à tous les problèmes inhérents à l’indivision :

  • conditions d’occupation et indemnité d’occupation,
  • partage des charges de l’indivision,
  • entretien des immeubles.

Dans ce cas, il est fortement conseillé de prévoir une convention d’indivision pour fixer les règles de gestion et d’occupation des biens immobiliers indivis et de faire préparer cette convention par un avocat averti en matière d’indivision qui saura prévoir les stipulations propres à éviter les conflits entre indivisaires et régler l’ensemble de leurs rapports.

Le rapport et la réduction des libéralités ayant profité au conjoint survivant

Le second alinéa de l’article 1527 du Code civil, au chapitre des régimes matrimoniaux, édicte une règle générale :

« Néanmoins, au cas où il y aurait des enfants qui ne seraient pas issus des deux époux, toute convention qui aurait pour conséquence de donner à l’un des époux au-delà de la portion réglée par l’article 1094-1, au titre  » Des donations entre vifs et des testaments « , sera sans effet pour tout l’excédent ; mais les simples bénéfices résultant des travaux communs et des économies faites sur les revenus respectifs quoique inégaux, des deux époux, ne sont pas considérés comme un avantage fait au préjudice des enfants d’un autre lit.»

Ce qui signifie que le conjoint survivant, en présence d’enfants non communs ne peut jamais recevoir, que ce soit pendant le mariage ou à cause de mort, en valeur, plus que ne le permet l’article 1094-1 dans l’une des trois options la plus favorable.

Cette règle s’applique également à la clause de préciput prévue par l’article 1515 du Code civil.

La seule exception pourrait être le bénéfice d’un contrat d’assurance vie ou la tontine avec les restrictions qui leurs sont propres (voir nos articles consacrés à ces deux cas).

En outre, comme les droits du conjoint survivant en pleine propriété ne peuvent s’exercer que sur la pleine propriété de la quotité disponible, des libéralités antérieures à celles dont pourrait bénéficier le conjoint survivant peuvent avoir diminué cette quotité disponible, voire l’avoir anéantie, ce qui impliquerait alors que le conjoint survivant ne pourrait être rempli de tout ou partie des droits auxquels il pourrait prétendre.

Il apparaît donc que le calcul des droits du conjoint survivant en présence d’héritiers réservataires est fort complexe.

Il ne saurait être recommandé, que vous soyez le conjoint survivant ou un héritier réservataire de consulter un avocat expérimenté en matière de succession afin de vérifier le montant de vos droits et de vous aider à les faire respecter.

Les contrats d’assurance vie au profit du conjoint survivant

Le conjoint survivant et les autres héritiers

Les époux souscrivent souvent des contrats d’assurance vie à leur profit, au profit de l’un d’entre eux et/ou de leurs enfants, voire au profit de tiers.

Lors de la liquidation du régime matrimonial, des récompenses ou des créances entre époux peuvent intervenir en fonction de l’origine des fonds ayant abondé les contrats et de leurs bénéficiaires.

Il convient de rédiger soigneusement les clauses bénéficiaires, notamment en fonction de l’origine des fonds ayant abondé ces contrats.

Les clauses bénéficiaires trop générales sont à proscrire et il est conseillé de désigner nominativement ces bénéficiaires, ou avec une possibilité certaine de les identifier personnellement, ainsi que des bénéficiaires subsidiaires, avec les mêmes conditions d’identification.

Sinon il y aura des litiges et sans doute une procédure judiciaire pour décider ce qu’il advient de la part du prédécédé sur l’assurance-vie.

Par exemple on peut, faute d’indication de nom (si l’on veut gratifier des enfants à naître), rédiger une clause bénéficiaire du genre :

« mon époux(se), à défaut mes enfants, à défaut leur descendants. »

Il convient de proscrire le terme « mes héritiers » qui peut être ambigu, surtout en présence d’un légataire universel, même s’il a été tranché sur cette question par la jurisprudence.

Si l’on n’a pas d’enfants et aucune indication de qui seront ses héritiers, on peut utiliser ce terme et ce sera alors la dévolution successorale indiquée dans l’acte de notoriété qui servira de fondement à la répartition du contrat d’assurance vie.

Le terme « conjoint » est également imprécis, si le souscripteur n’est pas marié, ce terme ne désigne pas forcément la compagne ou le compagnon avec lequel il vit et une contestation sera possible, il vaut mieux, si l’on n’indique pas le nom de la personne concernée, la faire clairement identifier.

En tout état de cause, il convient de modifier les clauses bénéficiaires chaque fois qu’un changement de situation les rendrait caduques, notamment en cas de divorce, avec bien sûr un certificat médical attestant de sa capacité en cas d’âge avancé.

Là encore, les conseils d’un professionnel averti (notaire ou avocat en complément de l’assureur) seront précieux.

Le partage des objets mobiliers.

Le conjoint survivant et les autres héritiers

Le conjoint survivant souhaite naturellement conserver les objets qui constituent son cadre de vie et sont des souvenirs de sa vie commune avec le défunt, alors que les enfants non communs souhaitent détenir ces mêmes souvenirs qui les rattachent à leur auteur et à leur enfance.

Heureusement, il arrive qu’un accord amiable intervienne sur cette question.

Que faire lorsque cela est impossible ?

Plusieurs cas sont à envisager, mais en toute hypothèse, il faut faire réaliser le plus rapidement possible après le décès un inventaire par le notaire, avec prisée par un commissaire-priseur.

Le conjoint survivant a l’attribution des objets mobiliers

Si les enfants veulent récupérer certains souvenirs, il convient de saisir le juge pour qu’il qualifie certains de ces objets de « souvenir de famille » et il en remettra la garde à la personne la plus qualifiée qui ne pourra donc en disposer, ils restent propriété de la famille de sang du prémourant

Le conjoint survivant a l’usufruit des objets mobiliers

Il en conserve l’usage jusqu’à son décès, puis ils seront partagés entre les héritiers du prémourant.

Des lots sont faits avec tirage au sort

Si l’un des héritiers veut se voir attribuer un objet particulier, il peut en demander l’attribution (sur justification du motif) dans le cadre d’un partage judiciaire, ce qui lui sera souverainement accordé ou refusé par le juge.

Il peut également en demander la garde, s’il obtient la qualification de souvenir de famille et est désigné comme la personne qualifiée pour garder le ou les objets.

Conclusion

On pourrait faire un véritable traité de droit pour évoquer la totalité des problèmes qui se révèlent entre le conjoint survivant et les enfants du défunt.

Pour venir à bout des contentieux qui surviennent, n’hésitez pas à prendre l’attache d’un avocat compétent qui connaît parfaitement toutes ces questions, dans leur dimension juridique, mais aussi humaine et vous aidera à affronter cette période de deuil douloureuse et vous permettra de surmonter ces difficultés avec sérénité.

Partager cet article sur :